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Interview de Romain Roulleau, Castorama - "L’IA va nous permettre d’être beaucoup plus fins et plus pertinents dans nos politiques promotionnelles."

 

Romain Roulleau est le Directeur Marketing, Digital et Clients de l'enseigne Castorama et Directeur de la stratégie digitale et e-commerce du groupe Kingfisher en France.

 

 

Comment anticipez-vous l'impact de l'IA, notamment générative, dans le secteur du retail ?


A minima, son impact va être aussi significatif que l’arrivée des écosystèmes d’applications. Il devrait même être bien plus fort. Cette vague de l’IA ressemble beaucoup à l’avènement d’internet, dans les années 1990-2000. Comme à l’époque, le grand public a très vite compris que s’ouvrait un nouveau champ des possibles quasi-illimité, mais à la différence de l’internet des années 90, l’accès à l’IA est très facile. 

Pour autant, malgré les tests et les cas d’usage qui apparaissent un peu partout, le déclic ne se produit pas vraiment au sein des entreprises. Les roadmaps et la façon de gérer les projets ne se sont pas encore adaptées. Cela s’explique parce que le sujet est tellement large qu’il est encore difficile de savoir comment l’aborder, par quel angle commencer… Or, quelle que soit l’entreprise, les moyens ne sont jamais illimités : il y a un enjeu de priorisation et de définition des cas d’usage. 

C’est complexe, car contrairement aux années 90, on assiste à une accélération du développement de nombreuses technologies, toutes en même temps, dans une course effrénée pour prendre le leadership. Même les géants du numérique se retrouvent à investir chez leurs concurrents, parce qu’ils craignent de ne pas aller eux-mêmes assez vite…

 

 

Chez Castorama, votre premier cas d’usage de l’IA générative est le chatbot conversationnel “Hello Casto” lancé en novembre 2023 : en quoi est-il différent des chatbots des générations précédentes ?

 

Hello Casto est pensé comme un vendeur virtuel : notre objectif, à terme, est qu’il puisse offrir le même niveau de conversation, d’échange et de conseil qu’un vendeur en magasin : comprendre le besoin, y répondre et proposer les produits adaptés. L’expérience est très différente des chatbots classiques que l’on trouvait jusqu’à présent sur les sites internet : ceux-ci reposent sur des arbres de décision, qui servent à qualifier les demandes et à réorienter vers des agents. L'idée avec Hello Casto est de proposer des interactions les plus naturelles possibles, ce qui est désormais permis par les grands modèles de langage (les LLM).

 

Comment avez-vous conçu cet agent conversationnel ? 

 

Le Groupe Kingfisher a développé une plateforme, Athéna, qui agrège plusieurs LLM et se connecte à nos données internes et flux produits : cela nous permet de rester agnostiques et de tester plusieurs modèles, tout en garantissant la protection de nos données ainsi que celles de nos clients. L’intérêt de cette plateforme est ainsi de pouvoir choisir le meilleur modèle en fonction du cas d’usage, des évolutions technologiques et des coûts. 

 

À quelles limites ou difficultés vous êtes-vous heurté dans ce déploiement ?

 

Dans l’IA, les choses bougent très vite ! Le LLM qui était le moins performant il y a trois mois pourra potentiellement devenir le meilleur demain… Comme les technologies, les modèles économiques évoluent aussi très rapidement. Lorsqu’on lance un tel outil auprès du grand public, il est difficile de modéliser l’adoption et les coûts associés, il n’y a pas de benchmark. Or, dans les LLM, le modèle de rémunération n’est ni lié au trafic ni au temps passé. Il est basé sur des “tokens”, c’est-à-dire un nombre de syllabes, qui s’avère très difficile à évaluer à l’avance.

 

Le recours à Athéna permet de répondre à ces enjeux, mais aussi d’éviter que toutes les informations utilisées pour entraîner le chatbot - guides, tutoriels, supports de formation des vendeurs, contenus liés aux produits - partent dans la nature et bénéficient à d’autres.

 

Enfin, en tant qu’entreprise grand public, cotée en bourse, nous devons tout mettre en œuvre pour prendre en compte les enjeux réputationnels et limiter les risques de réponses non-conformes du chatbot. La plateforme Athéna ajoute une couche de conformité et de sécurité supplémentaire aux modèles du marché.

 

Quel premier bilan dressez-vous de cet outil ?

 

Pour l’heure, il y a encore peu de cas d’usage de l’IA générative sur le marché : avec Hello Casto nous découvrons toutes ces nouvelles problématiques - les coûts, la sécurité des données, la conformité, etc. - et nous apprenons beaucoup.

 

Du côté des utilisateurs, les retours qualitatifs sont très bons, mais il faut maintenant développer les usages, en acculturant les clients à ces nouveaux outils. Pour le lancement, le chatbot a été entraîné spécifiquement sur le sujet des appareils électroportatifs. En janvier, il s’étend à toutes les questions liées à l’habitat et au bricolage : cela va nous permettre de communiquer dessus de manière plus large.

 

Castorama et le groupe Kingfisher n'avaient pas attendu les LLM et l'IA Générative pour intégrer l'IA dans les process : quels sont les cas d'usage qui vous semblent aujourd’hui les plus probants ?

 

Outre le chatbot, nous travaillons en effet sur d’autres applications de l’IA, plutôt classiques : la promotion, la relation client (avec des outils pour les centres de contact), la prévision des ventes ou la supply chain... Dans la promotion, par exemple, nous utilisons des modèles pour définir les politiques promotionnelles lors d’un changement de gamme, qui implique un déstockage des anciens produits : ils nous permettent de définir le bon niveau de réduction à appliquer pour écouler rapidement les stocks sans sacrifier trop de marge.

 

Plus généralement, l’IA ouvre un champ très intéressant pour la promotion. Je viens du domaine du voyage, où le yield management dans le transport et le revenue management dans l'hôtellerie sont la norme. Le retail n’a pas encore cette culture du pricing dynamique : à l’exception de quelques acteurs avancés, comme Amazon, tout le monde travaille encore avec des logiques d’index de prix. L’IA va nous permettre d’être beaucoup plus fins et plus pertinents dans nos façons de penser les politiques promotionnelles.

 

 Propos recueillis par Benoit Zante pour Bonial. 

Benoit Zante
Benoit Zante