Avec la montée en puissance du digital dans notre vie quotidienne, de nombreuses enseignes se sont mises en ordre de marche pour organiser la bascule de leur Plan d’Animation Commerciale (PAC) vers ces nouveaux supports. Nous avons souhaité partager quelques écueils classiques rencontrés au fil de nos discussions avec les acteurs du Retail.
Envisager une bascule trop radicale dans le temps
Une conclusion s’impose au fil des expérimentations menées par les acteurs de la distribution ces dernières années : en la matière, les manoeuvres trop radicales aboutissent généralement à des retours en arrière tout aussi rapides !
Première manoeuvre radicale, l’arrêt total des prospectus “du jour au lendemain”. Quelle direction marketing ou dirigeant de point de vente n’en a pas eu envie, en voyant le poids de la ligne “Prospectus” dans son budget marketing ? Cela conduit pourtant souvent à une chute significative du chiffre d’affaires. Au fond, cet effet n’est pas surprenant : le prospectus papier pèse bien souvent jusqu’à 50% du budget marketing des enseignes, parfois jusqu’à 70% dans le cas de certains points de vente spécialisés.
Pour autant, ce test radical n’est pas dénué d’intérêt, au moins d’un point de vue intellectuel et “expérimental”. Il permet de se forger la conviction que le marketing génère bien du trafic en point de vente, et que sa présence reste indispensable à la croissance du chiffre d’affaires d’un réseau de points de vente. En revanche, il ne faudrait pas en tirer d’autres conclusions hâtives, par exemple de craindre que le prospectus papier ne puisse pas être remplacé par autre chose : il peut l’être, mais pas dans ces proportions, et sûrement pas à cette vitesse. De notre expérience, les enseignes résolument engagées sur la voie de la transition digitale du PAC travaillent plutôt sur un horizon de temps relativement long, et établissent un plan de bascule progressif.
L’autre motif pour lequel une bascule trop rapide n’est pas souhaitable tient à la nature du media digital. Typiquement, le déploiement d’un dispositif de marketing digital à grande ampleur prend du temps pour être orchestré convenablement. Les “praticiens” de cette discipline le savent, peut-être plus encore que les media offline, les media digitaux requièrent des itérations nombreuses et successives pour trouver “le bon setup” : identifier les sources de trafic les plus efficientes, régler le bon niveau de dépense sur chaque source, comprendre les indicateurs clés de chacune d’entre elles et la manière dont elles se comparent, améliorer le tracking pour y voir plus clair, mettre en place des mécanismes d’attribution, etc.
Sous-estimer l’importance de la conduite du changement
Dans la Grande Distribution, le catalogue a toujours été un pilier du fonctionnement des enseignes, à tel point que tout semble “graviter” autour de sa parution régulière :
- Les acheteurs en font un point central de la “négo” avec les fournisseurs ;
- Les prix promo sont bien souvent décidés à la dernière minute, alors que le catalogue doit absolument partir chez l’imprimeur ;
- Les directions marketing articulent l’essentiel de leur plan média autour des principales “vagues” de prospectus ;
- Les chefs de rayon construisent leurs “TG” et l’événementiel du point de vente autour de ce qu’ils voient en vedette dans le catalogue
- Les appros commandent “la came” en vertu de ce qui se trouve mis en avant dans les pages du prospectus ;
- … et bien entendu, en bout de chaîne, certains consommateurs l’attendent chaque semaine dans la boîte aux lettres !
Evidemment, on ne peut pas envisager de bousculer toutes ces habitudes du jour au lendemain. La bascule du PAC vers le digital prendra nécessairement du temps, de la pédagogie, de la concertation, de l’explication. Les différentes parties-prenantes poseront légitimement beaucoup de questions, auxquelles la direction Marketing devra répondre avec patience et empathie. Il s’agit d’un vrai projet de conduite du changement, et négliger la longueur de ce processus “multi-latéral” dans le temps peut compromettre la bonne réussite de ce projet.
Transposer le catalogue papier à l’identique sur le digital
La “transition digitale” se résume souvent à un aspect purement technique : comment reproduire à l’identique, sur web ou sur smartphone, un usage bien connu et bien établi dans le monde réel. Par exemple, dans le domaine du paiement mobile, on peut reproduire le geste de paiement sans contact par le biais d’Apple Pay ou Android Pay. Pour les cartes de fidélité, la simple reproduction du code-barre sur l’écran, dont on aura éventuellement augmenté la luminosité, suffira à transposer le support dans l’univers digital.
Pour ce qui est du catalogue, on serait donc tenté de penser qu’il suffit de rendre disponible ce contenu dans un rendu numérique proche de la version papier, pour avoir traité le problème. Mais dans notre cas, l’enjeu est différent : il n’est pas tant une question technique qu’une question media. La question à se poser est : comment reproduire les différents impacts du catalogue sur le digital ? En effet, une vague de distribution de prospectus produira un impact auprès des ‘aficionados’ qui l’attendaient (impact “pull”), mais aussi un effet inopiné sur une partie de la population ciblée qui n’attendait pas spécialement ce prospectus, mais l’ouvre quand même ou au moins le “prend en main”. (impact “push”).
La question centrale est donc de savoir quel(s) format(s) publicitaire(s) il convient de diffuser sur quelle(s) audience(s) pour reproduire l’impact du catalogue dans sa version offline : c’est donc avant tout une question de media planning, et non une question de technologies.
Sous-estimer les enjeux d’échelle propres à la grande distribution
Les enseignes de grande distribution ont une caractéristique essentielle contenue dans leur dénomination : elles sont grandes, précisément ! Elles sont également complexes dans leur fonctionnement, avec de nombreux magasins, de très nombreux produits et des politiques de prix qui peuvent varier d’un point de vente à l’autre.
Cette complexité inhérente au Retail comporte une implication majeure : les efforts de marketing digital devront exploiter au maximum l’automatisation et la technologie pour obtenir une taille critique suffisante et à l’échelle d’un grand distributeur. Si la chaîne de production et de gestion des campagnes digitales comporte trop d’interventions humaines, elle se heurtera rapidement à des problématiques d’échelle.
Placer des attentes démesurées… dans la mesure !
La croyance populaire tient pour vrai que “dans le digital, tout est mesurable”. D’une manière générale, cette affirmation quasi-proverbiale n’est pas dénuée de vérité : on mesure effectivement bien plus de dimensions dans l’univers digital que dans l’univers offline. Pour autant, le marketing digital reste du marketing et (spoiler alert), à la fin de l’histoire, il n’est pas aisé d’aboutir à une “formule de calcul” restituant très exactement le ROI d’un investissement en marketing digital.
En la matière, se forger des convictions prend du temps et un certain nombre d’expérimentations. Les protocoles de mesure prennent du temps à être conçus, présentent souvent une certaine complexité, et doivent ensuite être régulièrement revus et affinés au fil des campagnes.
La perspective d’une utopique “mesurabilité totale” ne doit pas devenir paralysante pour l’organisation. Si cette mise en garde semblera évidente aux praticiens réguliers du marketing, elle peut ne pas l’être autant pour d’autres interlocuteurs de l’entreprise moins proches de cette discipline. Il faudra donc, dans le projet, prendre le temps de bien évangéliser sur cet aspect du projet.
Autre écueil classique en matière de mesure, celle de “l’avalanche d’indicateurs” : trop de métriques suivies, sans que certaines soient désignées comme “indicateurs clés”, peuvent noyer l’organisation sous un flot de données. Le risque est bien entendu de perdre de vue ceux qui permettent d’attester de la réussite du projet.
Surestimer les économies attendues
Encore une mise en garde qui peut sembler évidente aux praticiens réguliers du marketing, mais parfois moins aux contrôleurs de gestion ou esprits plus strictement financiers : on ne peut hélas pas diminuer significativement son budget marketing et espérer que le chiffre d’affaires n’en souffre pas.
La digitalisation du plan d’animation commerciale ne soit pas être perçue comme une source d’économies mais comme un gain de performances et une manière de communiquer plus en phase avec les attentes des clients.